Dans les magasins ou sur internet, chacun peut voir des prix se terminer par '99. Par exemple, le prix d'un réfrigérateur s'affichera plus volontiers en 769,99 € qu'en 770 €. Ce phénomène est sous-tendu par l'idée qu'un prix se terminant par un 9 déclenche plus facilement l'acte d'achat qu'un prix affiché 1 centime au-dessus. D'où vient ce biais cognitif ? Pourquoi cela fonctionne-t-il aussi bien ? Ce phénomène montre-t-il des limites ou les commerçants peuvent-ils s'en servir comme bon leur semble ?
Explication du phénomène
Les origines de cette pratique
Cela fait environ un siècle que les consommateurs sont soumis aux prix se terminant par le chiffre 9. Cette terminaison peut aussi bien s'affiner en « 99 » (9,99 €), en « 90 » (9,90 €) ou encore en « 95 » (9,95 €). Cette pratique trouve ses origines dans la méfiance des commerçants envers leurs vendeurs. En effet, avec un tel prix, les clients avaient beaucoup de mal à faire l'appoint. Le vendeur était donc contraint de revenir vers la caisse enregistreuse pour encaisser l'argent et rendre la monnaie. Le commerçant était alors sûr que son employé ne gardait pas pour lui l'argent de la vente.
Pourquoi ça marche ?
Une des explications repose sur le mécanisme cognitif de traitement des prix. Le cerveau accorde plus d'importance aux chiffres de gauche qu'à ceux de droite. Ce qui signifie que lorsque vous voyez affiché « 79,99 € », le modèle de mémorisation de votre cerveau va vous faire mémoriser le « 79 » bien mieux que le « 99 ».
Cette mémorisation repose quant à elle sur le principe de transfert des informations encodées vers la mémoire à long terme, ainsi que sur celui de récupération et d'utilisation des informations tarifaires. Résultat : avec un prix affiché à « 79,99 € », vous avez l'impression d'acheter votre bien à 79 € et non à presque 80 €.
Si cela fonctionne si bien, c'est parce-que le consommateur détermine un prix maximal qu'il ne dépassera pas. Sans véritable connaissance quant aux coûts de fabrication, il définit le prix qui selon lui est le plus juste. C'est ce qu'on appelle le prix psychologique. Et en règle générale, les prix en 9 donnent plus souvent l'impression de se rapprocher du prix juste.
Une autre hypothèse avance que les clients associent des prix en 9 au contexte de soldes. Cela contribuerait à « pousser » l'acte d'achat. Mais cette théorie de Hawkins et Hoch manque de fondements empiriques pour être définitivement validée.
Dernière hypothèse pour expliquer le succès des prix en 9 : ils seraient associés par les clients à un effort du vendeur pour proposer le prix le plus bas. Ce qui génère chez les consommateurs la sensation de réaliser une bonne affaire.
Certains de ces faits sont très bien expliqués dans la vidéo postée par Arte sur YouTube. Vous y apprendrez aussi qu'une augmentation au cent supérieur (par exemple un passage de 2,99 € à 3 €) donne l'impression aux consommateurs d'une hausse de 15 à 25 cents.
L'influence des prix en 9 sur la perception de la qualité des produits
Il semblerait que les derniers chiffres d'un prix influencent la perception des clients quant à la qualité des produits. Pour reprendre l'exemple précédemment cité, un prix en 9 donne l'impression que le vendeur a fait son maximum pour offrir le meilleur prix, ce qui signifie que les concurrents ne peuvent pas s'aligner sur ce tarif. Ils ont donc l'impression d'acheter un produit de qualité au meilleur prix possible.
Il arrive aussi, dans certains contextes, qu'un prix en 9 laisse penser aux consommateurs que le produit (voire le point de vente) ne sont pas assez fiables. En dépit de ce constat, les professionnels observent que les points de vente optent malgré tout pour des prix en 9 dans les gammes de prix élevés.
Quelle est la proportion de prix pratiquant la technique du 9 ? Plusieurs études se sont intéressées à cette question. Elles s'accordent à dire que ce serait environ un quart à un tiers des prix d'un point de vente qui s'afficheraient en 9. Au sein de grands magasins de distribution, cela représente environ 22 % des prix affichés. Dans certains autres points de vente, cette proportion s'élève à 50 %.
Les effets des prix en 9 sur le comportement des consommateurs
Les effets de niveau
Vous savez déjà qu'avec un prix en 9, votre cerveau a tendance à sous-évaluer le prix réel. C'est-à-dire que face à un produit à 59,99 €, votre cerveau mémorise « 50 € » et non « 60 € ». C'est ce que les experts appellent un « effet de niveau », c'est-à-dire qu'il y a distorsion de la perception du prix.
Trois hypothèses tentent d'expliquer ce phénomène :
- Les prix en 9 sont plus souvent sous-estimés que les prix se terminant par un autre chiffre.
- Lors de la comparaison de deux prix, seuls les premiers chiffres sont pris en considération. Voici un exemple : des consommateurs sont amenés à comparer la réduction 93-79 $, et 89-75 $. Dans la première paire sont retenus les premiers chiffres, avec l'opération suivante : 9 – 7 = 2. Dans la seconde paire est retenu le calcul 8 – 7 = 1. La première réduction est considérée plus avantageuse alors que les deux valeurs des promotions sont identiques.
- Face à la quantité d'informations à laquelle il doit faire face, le client ne mémorise qu'une partie de celles-ci. Et il retient donc les données situées à gauche.
Les effets d'image
Contrairement aux effets de niveau, les effets d'image supposent que les consommateurs accordent une certaine importance aux chiffres situés à droite.
Dans ce contexte, les prix en 9 laissent plusieurs impressions aux consommateurs quant au produit :
- Il est en soldes.
- Il voit son prix réduit, ou non augmenté, depuis un certain temps.
- Il s‘agit de l'une des meilleures offres disponibles sur le marché.
Ces effets d'image contribuent à entretenir dans l'esprit du consommateur une certaine image d'un produit, d'un point de vente ou d'une marque. Si les effets de niveaux sont liés à la perception du prix, les effets d'image sont liés à la perception de l'entreprise par le consommateur.
Des résultats différents selon la situation d'achat
Les prix en 9 influent de manière différente sur le comportement du consommateur selon la situation d'achat de celui-ci.
La vente par correspondance
Une étude a été menée sur 90 000 clientes. La moitié d'entre elle a reçu un catalogue proposant 169 produits. Leur prix se terminait par un 0. L'autre moitié a reçu un catalogue dans lequel les mêmes produits affichaient un prix se terminant par un 9. Les consommatrices soumises aux prix en 9 ont dépensé plus que celles confrontées au prix en 0 (montant moyen du panier : 80,91 $ contre 78,75 $). Les résultats ne montrent en revanche aucun impact des prix en 9 sur le nombre de personnes passant à l'achat. Cela signifie donc que ces prix fonctionnent sur les personnes ayant déjà l'intention d'acheter.
Une autre expérience a été menée avec cette fois l'envoi de deux catalogues avec 52 % et 68 % de prix en 9. Les deux groupes ont également reçu le catalogue avec les prix non modifiés. Les prix en 9 ont permis une augmentation moyenne des ventes de 35 % environ. A été aussi noté un intérêt plus fort pour les nouveaux produits par rapport à ceux de l'année précédente (les deux catégories affichaient des prix en 9).
La restauration
Une expérience a permis de montrer l'effet des prix en 9 sur la fréquence à laquelle les clients choisissent un plat. Il convient de noter que pour que cela soit efficace, il est nécessaire de limiter le nombre de prix en 9 sur la carte. Un échantillon avait une carte avec des prix en 0 ; un deuxième groupe avait une carte avec des prix en 0, excepté l'item sur lequel portait le test ; un troisième échantillon recevait un menu avec exclusivement des prix en terminaison 9. Il ressort de l'étude que le prix en 9 produit plus d'effet lorsqu'il se trouve au milieu de prix d'autres formats. Ce sont 49,5 % des clients qui passent commande de l'item-cible avec le menu 2, contre 34,15 % avec le menu 1, et 35,98 % avec le menu 3.
Des résultats différents selon les consommateurs
Les études de Baumgartnet et Steiner ont démontré que tous les consommateurs ne réagissaient pas de la même façon face aux prix en 9. Là où, pour des boissons chocolatées et un micro-ordinateur, ils sont respectivement 38 % et 51 % à préférer des prix en 0 car ils considèrent ce prix comme étant un gage de qualité, ils sont 29 % et 36 % à préférer les prix en 9 lorsqu'ils y associent la possibilité d'acheter un produit à un prix avantageux. Les deux auteurs ont aussi pu prouver que les clients fidèles d'une marque préfèrent en général les prix en 9 aux prix ronds.
Grâce à ces études, il a été montré qu'il est en fait difficile de recommander aux managers d'opter pour une politique tarifaire plutôt que pour une autre.
Le e-commerce répond-il à la même règle ?
Stripe, infrastructure de paiement pour le e-commerce, a mené une étude auprès de 100 000 boutiques en ligne, sur une durée de 6 ans. Le but était de savoir si le commerce en ligne obéissait autant aux « lois des prix en 9 » que les boutiques physiques. L'intérêt de la société s'est porté principalement sur les paiements récurrents, type abonnements mensuels.
Il ressort que les prix en 9 attirent plus de clients que les prix en 0 ou en 5 (ces derniers étant souvent considérés comme des prix intermédiaires).
Cette technique fonctionne-t-elle tout le temps ?
Les prix en 9 génèrent-ils des effets positifs pour les commerçants quel que soit le contexte de vente ?
Pendant les soldes ?
La technique du prix en 9 semble fonctionner dans un contexte dans lequel les prix sont amenés à évoluer. Il a par exemple été prouvé qu'en période de soldes, les ventes explosent de 406 % lorsque le prix passe de 83 cents à 59 cents. Elles n'augmentent le nombre de ventes « que » de 194 % lorsque le prix passe de 83 à 62 cents. Et cela fonctionne d'autant mieux si le nouveau prix est visible à côté de l'ancien, et affiché dans un autre format que celui du prix d'origine.
Vous retrouvez un effet similaire si vous présentez un prix non soldé de 17 €, et un prix soldé de 15, 99 € aux consommateurs. Ils y verront une réduction d'environ deux euros alors qu'elle n'est en réalité que d'1,01 €.
Cela s'explique par le fait que les prix « créent une illusion » dans l'esprit des consommateurs. Ainsi, ces derniers ressentent une baisse plus importante du prix. Les consommateurs ont en effet tendance à sous-évaluer leur perception du prix. Il existe trois explications à ce phénomène :
- Les consommateurs arrondissent les prix ;
- Les consommateurs retiennent mieux les chiffes situés à gauche.
Dans ce type de situations, le consommateur a l'impression de disposer de davantage de moyens. Un prix en 9 le laisse penser qu'il peut s'offrir plus de choses, ou des choses plus onéreuses.
Lorsque le consommateur compare entre eux deux produits, il évalue le prix en 9 en convoquant le souvenir d'un prix qu'il considère plus ou moins comme un standard. C'est ce qui porte le nom de « prix de référence », et c'est en fonction de son évaluation que l'objet avec le prix en 9 sera ou non choisi.
Quand tous les prix se terminent par 9 ?
Pour que les prix en 9 conservent toute leur attractivité, il est nécessaire de veiller à ce que leur présence reste raisonnée. Tout dépend de la finalité. Si le but est de laisser une certaine impression aux clients (celle d'une marque ou d'un point de vente peu chers, accessibles, …), les prix en 9 deviennent de bons alliés. Si l'objectif relève plutôt de l'envie de renforcer l'attractivité d'un produit, abuser des prix en 9 produira l'effet inverse. Une bonne pratique consisterait plutôt à limiter le nombre de prix en 9, pour que l'item-cible bénéficie d'un intérêt accru de la part des clients.
D'autres études ont quant à elle mis en lumière le peu d'effet des prix en 9 sur la demande. Plus les prix en 9 sont concentrés, moins la marque les pratiquant convertit de nouveaux clients. En revanche, ces mêmes prix inciteraient les personnes déjà acquises à la marque à acheter en plus grande quantité.
Lorsqu'il s'agit de produits chers ?
Il existe aussi des différences de comportements lorsque les prix en 9 sont élevés. Les clients achètent moins, mais le nombre d'acheteurs augmente.
Les études démontrent aussi qu'une fois atteint le seuil de 999 999 €, le cerveau estime qu'il n'y a quasiment aucune différence avec 1 000 000 €. Cela est dû au fait qu'une telle quantité est rarement maniée dans la vie de tous les jours. Le cerveau a donc besoin de porter davantage d'attention aux chiffres pour bien les comprendre. A partir de 999 999, le cerveau a donc besoin d'arrondir à la décimale supérieure.
Dans le secteur du tourisme ?
Le secteur du tourisme a lui aussi connu la prolifération des prix en 9. Mais des études, appuyées par les avis de nombreux revue managers issus de chaînes hôtelières célèbres tendent à prouver que les voyageurs ne se laissent plus si facilement séduire par ces prix.
Avant, le voyageur réservait plus facilement des séjours proposés à un prix se finissant par un 9 ou un 4 (ce dernier fonctionnait apparemment mieux qu'un prix en 5). A titre d'exemple, un prix en « ,99 » avait un taux de conversion de 3,06 % là ou un prix en « 1 » ne convertissait qu'à hauteur de 1,88 %.
Si cela ne fonctionne plus si bien dans le domaine du tourisme, c'est parce que le client est désormais un peu plus « éduqué ». C'est-à-dire qu'il a connaissance des stratégies des compagnies qui modifient leurs tarifs en fonction du remplissage des établissements. Les prix en 4 ou en 9 leur donnent désormais l'impression de se faire avoir.
Par ailleurs, lors de promotions, les clients se doutent qu'il est difficile de tomber sur un chiffre rond. Les prix se terminant par un autre chiffre que le 4 ou le 9, et affichant des centimes, ne rebutent plus. Les prix « bruts » ont désormais toutes les faveurs de franchises renommées, comme Hilton, Accor ou IGH.
Pour aller plus loin, téléchargez ce guide gratuit et découvrez comment définir une stratégie tarifaire adaptée à votre entreprise.