La crise sanitaire provoquée par la pandémie de Covid-19 a contribué à transformer le monde du travail en profondeur. Alors que la flexibilité s'inscrit désormais au cœur des préoccupations des salariés, de plus en plus d'entreprises expérimentent ou adoptent la semaine de 4 jours.
Des collaborateurs en quête de flexibilité
La démocratisation du télétravail a permis à de nombreux salariés de découvrir qu'il est possible de collaborer autrement. Désormais, le sujet de la flexibilité s'inscrit au cœur de leurs préoccupations.
« Depuis la pandémie, la liste des attentes des collaborateurs concernant leur environnement de travail est en constante évolution : nous savions que le salaire et la sécurité de l'emploi étaient des facteurs de motivation essentiels, rejoints désormais par la flexibilité », estime Carlos Fontelas de Carvalho, président d'ADP France et Suisse, une entreprise spécialisée dans les solutions RH et la gestion des fiches de paie.
Les chiffres le confirment. Selon l'enquête « People at Work 2022 : l'étude Workforce View » réalisée par ADP, 64 % des salariés français aimeraient bénéficier d'horaires de travail plus flexibles et avoir la possibilité de les condenser sur une semaine de 4 jours. 27 % se disent même prêts à concéder une baisse de leur rémunération en contrepartie de la flexibilité de leurs horaires de travail.
Du côté d'Owl Labs, une entreprise de technologie collaborative soucieuse d'optimiser les interactions des équipes hybrides, le constat est le même. Selon l'étude qu'elle a réalisée auprès de 2 000 travailleurs français en février 2022, l'absence de flexibilité dans le choix des horaires et du lieu de travail fait partie des critères les plus susceptibles d'inciter un employé à refuser une offre d'emploi. Il n'est donc pas étonnant que la semaine de 4 jours, des horaires de travail flexibles et des horaires condensés fassent partie des trois avantages professionnels les plus attrayants aux yeux des salariés en quête d'un emploi ou déjà en poste. Ces résultats sont importants puisqu'ils démontrent que la flexibilité n'est pas seulement un argument permettant d'attirer de nouveaux talents, c'est également un levier de fidélisation.
Alors qu'au premier trimestre 2022 le nombre de démissions a atteint un niveau particulièrement élevé en France (2,7 %), conduisant certains à craindre une « grande démission » similaire à celle qui a été observée aux États-Unis, la rétention des talents est aujourd'hui l'une des principales préoccupations des entreprises.
Source d'attractivité, la semaine de 4 jours apparaît donc comme un enjeu fort. D'ailleurs, le média Welcome to the Jungle l'a classée parmi « les 10 tendances RH à suivre en 2022 », évoquant la possibilité qu'elle devienne « un argument essentiel de la marque employeur ».
Semaine de 4 jours : de plus en plus d'entreprises sautent le pas
Depuis quelques années, de plus en plus de pays expérimentent ou adoptent cette pratique. En Europe, il faut notamment citer l'Islande, précurseur en la matière, mais aussi l'Espagne, la Belgique et, plus récemment, le Royaume-Uni. Depuis juin, et ce, jusqu'en décembre 2022, 3 000 salariés britanniques exerçant dans 60 entreprises différentes travaillent 4 jours par semaine, au lieu de 5, tout en continuant à percevoir la même rémunération. L'objectif : étudier l'impact d'une telle réorganisation du travail sur l'économie ainsi que sur les collaborateurs.
Ailleurs dans le monde, la semaine de 4 jours suscite également de l'intérêt. La Nouvelle-Zélande ou encore le Japon, où le karoshi aussi appelé « mort par surmenage » est un enjeu de santé publique, s'y intéressent.
Il faut dire que les retours d'expérience sur cette pratique sont généralement très positifs. Amélioration de l'équilibre vie professionnelle/vie personnelle, diminution du stress, augmentation de l'engagement et de la performance, nombreuses sont les entreprises à faire de tels constats. Au Royaume-Uni, par exemple, toutes observent un maintien ou une amélioration de la productivité. Elles sont même 15 % à affirmer qu’elle a progressé de manière significative. Par ailleurs, il semblerait que cette réorganisation du travail ait des bénéfices collatéraux. Une étude anglaise réalisée en 2021 a en effet démontré que les changements de comportements liés à l'adoption de la semaine de 4 jours pouvaient entraîner une baisse de 20 % des émissions carbone.
Welcome to the Jungle
Média de référence sur le travail, Welcome to the Jungle a expérimenté la semaine de 4 jours durant 5 mois, en 2019, avant de l'adopter définitivement. Le temps de travail a diminué mais les collaborateurs ont continué à percevoir une rémunération identique à celle qu'ils touchaient auparavant.
« Nous sommes convaincus que le quotidien professionnel des salarié·es doit être pensé dans l'intérêt de tous·tes et l'équilibre de chacun·e. C'est ainsi que naît l'épanouissement au travail. C'est ce qui a d'abord motivé la création de Welcome to the Jungle et, aujourd'hui, le passage à la semaine de quatre jours », a déclaré Jérémy Clédat, fondateur de l'entreprise, dans un livre blanc consacré à l'expérimentation de ce nouveau rythme.
Si le temps de travail a été réduit de 20 %, l'entreprise n'a pas observé une baisse équivalente de la performance. De plus, elle a constaté que les collaborateurs géraient mieux leur stress et avaient un sentiment de contrôle plus fort sur leur existence. De manière générale, Jérémy Clédat évoque « une expérience positive, du point de vue des résultats comme de la satisfaction au sein des équipes ».
Toutefois, si l'essai se veut être une réussite, c'est aussi parce que Welcome to the Jungle a pris le temps d'expérimenter, de concerter et de faire les ajustements qui lui semblaient nécessaires en cours de route. Ainsi, pour des raisons organisationnelles évidentes, au lieu de continuer à permettre à ses collaborateurs de choisir parmi quatre jours non travaillés, l'entreprise a finalement décidé de proposer seulement deux jours off possibles : le mercredi et le vendredi.
LDLC
Acteur majeur de l'e-commerce informatique et high-tech, LDLC a également opté pour la semaine de 4 jours. Depuis janvier 2021, la quasi-totalité de ses 1 000 salariés n'effectue plus 35 heures sur 5 jours mais 32 heures sur 4 jours, sans perte de salaire.
Laurent de la Clergerie, le PDG de l'entreprise, ne tarit pas d'éloges sur ce nouveau rythme de travail. « Je ne m'attendais pas à autant de positif ! L'ambiance est incroyable, les gens ont le sourire et derrière cela crée une efficacité extraordinaire. Les chiffres parlent d'eux-mêmes : il y a un an et demi on faisait 497M € de chiffres d'affaires à 1060 et cette année on va réaliser 730M € à 1040. C'est ma surprise, je n'ai pas eu besoin de recruter car les collaborateurs sont plus efficaces. Je n'ai jamais demandé de faire le même travail en quatre jours, mais dans les faits les gens sont tellement reposés que la cadence augmente », a-t-il déclaré dans une interview accordée à My Happy Job. Outre ces résultats très positifs, Laurent de la Clergerie évoque une diminution de l'absentéisme et une image employeur renforcée.
Pour faciliter l'adoption de ce rythme atypique, l'entreprise adepte du management collaboratif a décidé de laisser les services s'organiser en autonomie. Une seule consigne leur a été donnée : veiller à ce que les clients ne remarquent aucune différence. Tout comme Welcome to the Jungle, LDLC a toutefois dû mettre en place quelques règles. Par exemple, les collaborateurs ont choisi un jour de repos fixe pour toute l'année et, afin d'éviter que tout le monde s'absente au même moment, des binômes ont été créés. Ils permettent ainsi à chacun de poser le jour de son choix, une semaine sur deux.
Ténor
Spécialiste de l'intégration de logiciels, le groupe Ténor, qui compte 130 collaborateurs, est passé à la semaine de 4 jours il y a moins d'un an. Ses salariés qui ne sont pas en forfait jours travaillent désormais 32 heures par semaine tout en continuant à être payés pour 35 heures. Ce choix, Ténor l'a fait pour plusieurs raisons : favoriser l'égalité femmes-hommes, contribuer à la protection de l'environnement mais aussi, bien sûr, améliorer le bien-être des collaborateurs. « L'équilibre entre la vie professionnelle et la vie personnelle est primordial pour faire face à un métier enrichissant mais de plus en plus complexe. Nous sommes persuadés qu'une équipe épanouie et engagée sera la clé de l'augmentation de la satisfaction client », a déclaré dans un communiqué Nizar Alachbili, président et fondateur du groupe. Un mois seulement après la mise en place de la semaine de 4 jours, il constatait déjà des bénéfices. « Nous voyons déjà des effets palpables : un taux de turn-over en baisse, et des recrutements supérieurs à ceux que nous faisions autrefois. Car à salaire égal, le fait de travailler 4 jours est un avantage social significatif », a-t-il expliqué au magazine Courrier Cadres.
Les Filles et les Garçons de la Tech
Née en 2020, Les Filles et les Garçons de la Tech accompagne les entreprises dans leur transformation numérique. Si elle a adopté la semaine de 4 jours, payée 5, son modèle présente toutefois quelques spécificités. En effet, Les Filles et les Garçons de la Tech est une entreprise à mission solidaire. Dix jours par an, ses collaborateurs mettent donc à profit leur jour off pour s'investir bénévolement dans une association ou œuvrer en faveur de la protection de la planète. Le secteur de la tech évoluant très rapidement et nécessitant d'acquérir de nouvelles compétences constamment, 17 jours sont par ailleurs consacrés à la formation chaque année. Enfin, 10 jours sont dédiés au repos. « Le fait de ne disposer de nos équipes que 4 jours sur 5 n'est pas un souci par rapport à la concurrence, mais bien au contraire une force, puisque ces temps de ressourcement, d'utilité et de formation, leur permettent de revenir plus performants et motivés dans le suivi de leurs missions », a expliqué Fabien Amico, cofondateur et CEO de l'entreprise, au média MProvence.
Ce modèle inédit pourrait bien essaimer tant il parvient à concilier le sens, la performance et le bien-être, trois préoccupations devenues majeures dans l'esprit de nombreux collaborateurs et dirigeants d'entreprise.
Encouragées par des retours d'expérience parfois dithyrambiques, d'autres entreprises se laissent elles aussi séduire par la semaine de 4 jours. C'est le cas en cette rentrée 2022 de Talents & Territoire qui œuvre à la valorisation du territoire de la Haute-Savoie et de ses talents, d'Innov RH, un cabinet de conseil en gestion du changement, ou encore d'Elmy, un fournisseur d'électricité verte. Quelle que soit leur taille, quel que soit leur secteur d'activité, toutes ont été conquises par cette idée : en travaillant moins, il est possible de travailler mieux.
L'art d'une transition réussie
Lors du passage à la semaine de 4 jours, un sentiment de désorganisation peut apparaître et un temps d'adaptation est donc nécessaire. Chez Welcome to the Jungle, par exemple, deux mois ont permis à l'équipe tech de trouver ses marques alors que « quatre mois n'ont pas exactement suffi à l'équipe commerciale ». Outre le bon respect des aspects légaux, une telle réorganisation du travail exige donc de prendre certaines précautions et de faire d'indispensables ajustements.
Expérimenter
Dans un premier temps, il semble important d'adopter un état d'esprit agile et de mettre en place une méthodologie expérimentale afin de recueillir des résultats. C'est ce qu'a fait Microsoft en août 2019, testant la semaine de 4 jours dans ses bureaux japonais et enregistrant alors une hausse de la productivité de 40 % ainsi qu'une baisse de la consommation d'électricité de 23 %, selon plusieurs médias. C'est aussi ce qu'a fait Welcome to The Jungle durant 5 mois, s'entourant alors pour l'occasion de l'expert Fabernovel et de chercheurs en neurosciences.
Évidemment, ce type d'approche suppose de choisir les bons indicateurs de performance. L'absentéisme, la satisfaction des collaborateurs, la satisfaction clients, le turnover et l'engagement en font partie.
Communiquer efficacement
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En amont de l'expérience
Avant d'adopter la semaine de 4 jours, il convient tout d'abord de dialoguer. Avec les collaborateurs, dans un premier temps, afin de comprendre de quelle façon ils perçoivent cette proposition, si elle les attire ou si elle suscite au contraire certaines craintes, mais aussi avec les partenaires sociaux. Laurent de la Clergerie, par exemple, a évoqué la semaine de 4 jours avec les partenaires sociaux de LDLC à l'issue des négociations annuelles obligatoires (NAO). Après avoir pris le temps de réfléchir à l'accord, tous l'ont signé à l'unanimité.
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Au cours de l'expérience
Une fois cette réorganisation du travail approuvée, il convient d'impliquer les managers. En lien direct avec les collaborateurs, ces acteurs de terrain doivent incarner la vision de l'entreprise, communiquer clairement sur les raisons qui ont motivé cette réorganisation et évoquer la méthodologie adoptée ainsi que les changements escomptés.
Garants d'une bonne communication au sein des équipes, ils doivent veiller à ce que les informations circulent de façon fluide, en s'assurant par exemple que les collaborateurs peuvent facilement suivre les tâches qui ont été accomplies en leur absence et connaître les jours chômés de leurs collègues. Chez Welcome to The Jungle, cela se traduit par « des statuts Slack à jour, mais aussi la création d'un tableau de partage (online et offline), accessible à tous·tes, où figurent le jour chômé et l'autre membre du binôme disponible lors de cette absence ».
L'édition d'un guide de bonne pratique peut également être une solution intéressante pour rassurer les employés et accompagner le changement en douceur.
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À l'issue de l'expérience
Enfin, il ne faut pas négliger le dialogue à l'issue de l'expérience, et ce, même si les résultats observés sont très positifs. Ce n'est qu'en invitant les collaborateurs à s'exprimer librement qu'il sera possible d'identifier d'éventuels axes d'amélioration et de pérenniser le changement. Par exemple, s'ils sont nombreux à affirmer travailler durant leur jour off, il pourra alors être nécessaire de réviser les objectifs, d'informer sur le droit à la déconnexion ou d'organiser une formation sur la gestion du temps.
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Être efficace à long terme
Lorsque Welcome to the Jungle a commencé à expérimenter la semaine de 4 jours, une augmentation « des comportements opérationnels, tournés vers de plus courtes échéances » a été constatée. Sachant qu'ils disposaient de moins de temps, les collaborateurs ont naturellement écarté certaines tâches, moins urgentes, telles que la veille éditoriale ou la prospection. Par ailleurs, les profils créatifs ont été affectés par la disparition de leurs « temps de respiration », sources d'inspiration. Une approche ainsi focalisée sur le court terme peut nuire à la performance de toute une entreprise, la réflexion des uns nourrissant évidemment la production des autres. Dès lors, il est important d'être vigilant et de trouver des solutions adaptées. Au sein de l'entreprise de Jérémy Clédat, cela a souligné la nécessité de repenser l'organisation de certaines équipes, de créer de nouveaux postes stratégiques mais aussi d'externaliser ou d'automatiser des tâches.
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Préserver sa productivité
Lors du passage à la semaine de 4 jours, la planification et la hiérarchisation des tâches deviennent des compétences précieuses qu'il est nécessaire de développer.
Par ailleurs, il est possible de gagner un temps précieux en questionnant l'utilité de certaines réunions et en les préparant mieux. Pour ce faire, il convient tout d'abord de définir un ordre du jour et un objectif clairs puis de communiquer ces éléments suffisamment tôt aux participants afin qu'ils puissent poser des questions, en amont de la rencontre. Pour gagner en efficacité, il est important de n'inviter que des personnes dont la présence est réellement indispensable. Selon une étude menée par HelloWork (ex Cadreo), le nombre idéal de participants à une réunion se situerait entre 4 et 6.
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Choisir une organisation adaptée
Enfin, réussir son passage à la semaine de 4 jours implique d'identifier l'organisation la plus adaptée aux équipes et à l'entreprise. Au sein du groupe Ténor, il a par exemple été décidé que travailler le vendredi était tout simplement interdit. « Nous ne facturons plus le vendredi à nos clients, si bien que nos salariés ne travaillent pas à flux tendu » a expliqué Nizar Alachbili au Courrier Cadres.
En raison de l'intensité du travail, la durée des pauses a tendance à diminuer naturellement lorsque la semaine est raccourcie. Quel que soit le fonctionnement choisi, il semble donc essentiel de s'assurer que l'équipe est au complet au moins un jour par semaine afin de préserver les échanges spontanés et le lien social.
La semaine de 4 jours n'est pas une solution miracle qui booste instantanément le niveau de bien-être des collaborateurs et les performances de l'entreprise. Toutefois, elle peut avoir des bénéfices pluriels dès lors que sa mise en place est le fruit d'une véritable réflexion sur la qualité de vie au travail.
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