« Chaque génération se croit plus intelligente que la précédente et plus sage que la suivante », affirmait George Orwell. Aujourd'hui, 4 générations, des baby-boomers à la génération Z, cohabitent au sein des entreprises. Toutes ont des attentes et des besoins différents. Alors qu'en 2015, 71 % des salariés français déclaraient être confrontés à des conflits intergénérationnels au bureau, apprendre à travailler ensemble apparaît comme un enjeu de taille.
Le mentoring, une pratique universelle
Avant de prendre part à la guerre de Troie, c'est à Mentor qu'Ulysse a confié l'éducation de son fils Télémaque. Le terme « mentor » vient donc de la mythologie grecque et désigne un guide, un conseiller.
En tant que pratique visant à permettre aux collaborateurs d'une même entreprise de se mettre en relation pour progresser professionnellement, le mentoring peut incontestablement favoriser la collaboration entre les générations. Pour le mentoré, c'est une double opportunité : avoir accès à des connaissances privilégiées qui ne s'acquièrent généralement qu'avec l'expérience et monter en compétences. C'est aussi l'occasion de bénéficier d'un soutien émotionnel, d'encouragements mais aussi d'être accompagné dans le développement de sa carrière.
Pour le mentor, cette pratique permet de développer de nouvelles soft skills, comme l'art de la gestion de l'humain et de la pédagogie, qui pourront être mises en valeur sur un CV.
À l'échelle de l'organisation, enfin, il est possible d'observer des bénéfices triples : une augmentation de la rétention des talents, une réduction des écarts de compétences et un renforcement de la culture d'entreprise grâce à une meilleure mise en réseau des collaborateurs.
Conscientes que le mentoring représente aujourd'hui un atout pour les entreprises, certaines plateformes, comme Unatti, en ont fait leur spécialité. « La première plateforme française digitale de mentoring multilingue » s'est donné pour ambition de « permettre aux collaborateurs de se développer et démultiplier ainsi la performance » au sein des organisations. Outre du conseil et de la formation, Unatti entend accompagner les entreprises dans le déploiement de leur programme de mentoring et faciliter la mise en relation des mentors et mentorés. « C'est un peu comme un site de rencontres professionnelles basé sur des sujets professionnels », résume Victoria Pell, la fondatrice, rappelant alors que le mentoring « est une pratique universelle. C'est humain, on ne peut pas faire plus humain que cela dans un monde où tout se transforme avec le numérique ».
Le cas du reverse mentoring
Initialement, le mentoring reposait sur un modèle unique : l'expérience et l'ancienneté d'un senior mises au service d'un jeune actif. S'il a toujours sa place, il est désormais complété par d'autres modèles. C'est le cas du reverse mentoring, aussi appelé mentorat inversé. Cette pratique repose sur une idée simple : les jeunes collaborateurs peuvent, eux aussi, beaucoup apporter aux plus anciens, notamment grâce à leur maîtrise du digital.
Ces dernières années, de nombreuses entreprises s'y sont mises. C'est notamment le cas d'AXA qui a opté pour cette pratique en 2014 afin de permettre aux top managers d'avoir une compréhension plus approfondie du numérique. Construit en cinq modules, le programme de mentoring du groupe rassemble un mentor et un mentoré à l'occasion de séances individuelles qui mettent la bienveillance à l'honneur. En 2016, les sujets les plus abordés étaient Twitter, LinkedIn, Pocket mais aussi l'innovation et la sécurité des données personnelles. Alice Pellerin, alors chef de projet pour le programme de reverse mentoring d'AXA, évoquait « des résultats très positifs et encourageants ».
BNP Paribas Personal Finance a mis en place un programme similaire, le qualifiant « d'outil idéal pour rapprocher les générations par le numérique ». Au préalable, l'entreprise a d'abord lancé un appel à candidatures afin de rassembler les personnes souhaitant participer, puis constitué des groupes et formé les mentors. Stephen Hunt, CEO de BNP Paribas Personal Finance en Grande-Bretagne, estime que cela lui a permis de sortir de sa zone de confort, d'en apprendre plus sur les réseaux sociaux mais aussi d'échanger avec des collaborateurs avec qui il n'aurait peut-être jamais eu la chance de discuter. Pour Leanne, son mentor, ça a été l'occasion de développer ses capacités de communication, de briser les barrières et de resserrer les liens au sein de l'entreprise.
Les retours sont également très positifs du côté d'Oracle France qui a fait l'expérience du reverse mentoring en 2017. Pour qualifier le programme auquel ils ont pris part, les participants n'hésitaient pas à employer les mots « énergisant », « sympa », « frais », « enrichissant », « surprenant » ou encore « novateur ».
Toutefois, le reverse mentoring a ses limites. Les changements d'emploi étant aujourd'hui bien plus fréquents au cours d'une carrière, l'âge et l'expérience ne sont plus nécessairement corrélés. Par ailleurs, tous les collaborateurs sont concernés par l'obsolescence des compétences. Tous doivent donc régulièrement veiller à actualiser leurs aptitudes, et ce, quel que soit leur âge.
Au-delà de la mise en place d'un programme de mentoring traditionnel ou inversé, il semble donc que les entreprises doivent surtout créer les conditions d'une collaboration intergénérationnelle efficace. C'est un sujet plus que jamais d'actualité car la récente démocratisation du télétravail a bouleversé certains mécanismes de transmission.
La collaboration intergénérationnelle au travail, un enjeu fort
Aux concepts de mentoring traditionnel ou de reverse mentoring, Welcome to the Jungle préfère le terme de mentorat intergénérationnel. L'objectif est simple : « apparier deux personnes de générations différentes, en partant du principe que les deux ont à y gagner, en termes de développement personnel et d'apprentissage professionnel », détaille l'entreprise dans un livre blanc consacré à ce sujet. Les participants pouvant être simultanément mentor et mentoré, le mentorat intergénérationnel repose sur un transfert réciproque de connaissances, de compétences et d'expériences.
« Nous imaginons généralement que les juniors peuvent aider les seniors à avoir une meilleure compréhension des nouvelles technologies et que les seniors peuvent leur transmettre une certaine sagesse. Mais n'y a-t-il pas plus de possibilités pour un éventuel apprentissage intergénérationnel, autres que ces observations banales ? Qu'est-ce que les jeunes peuvent apprendre d'autre, en particulier, des seniors, et les seniors des jeunes ? », s'interrogeaient Lynda Gratton et Andrew J Scott, professeurs à la London Business School, dans un article publié par la Harvard Business Review. Pour trouver des réponses à cette question, ils ont réalisé une enquête à laquelle 10 000 personnes ont participé. Ils ont alors constaté que les personnes d'âges différents partageaient des similitudes mais qu'elles se distinguaient aussi dans certains domaines de manière significative. Selon eux, ce sont précisément ces différences et similitudes qui rendent le mentoring intergénérationnel bidirectionnel pertinent. L'enquête a ainsi montré que les plus âgés pourraient notamment apprendre aux plus jeunes à mieux contrôler leur vie professionnelle et à mieux gérer leurs revenus. Les seniors, quant à eux, pourraient avoir une meilleure compréhension des exigences auxquelles les plus jeunes sont confrontés mais aussi apprendre, à leurs côtés, à créer des réseaux professionnels diversifiés et à se bâtir une réputation.
Preuve que le sujet de la collaboration intergénérationnelle occupe les esprits, plusieurs initiatives ont vu le jour ces dernières années. En 2015, Adecco a ainsi lancé le programme « CEO for One Month ». Le principe : permettre à un étudiant de devenir le bras droit du président d'Adecco France, pendant un mois. « C'est pour moi une grande source d'inspiration, l'opportunité de côtoyer un jeune talent et de bénéficier pendant quatre semaines de ses idées et de son regard neuf, celui de sa génération, sur une entreprise comme la nôtre », affirmait Christophe Catoir en 2018.
BNP Paribas, de son côté, a lancé WeGenerations en 2017. Présenté comme un « réseau intergénérationnel destiné à ses collaborateurs », il vise à favoriser les échanges entre jeunes et seniors, permettre le partage de visions et d'expériences différentes mais aussi faciliter « l'orientation et le développement personnel dans un environnement solidaire et bienveillant ». Conférences, ateliers en petits groupes, networking, mentoring et reverse mentoring sont ainsi proposés aux membres du réseau. « Il y a toujours eu un échange entre les générations mais ce qui est intéressant c'est que cette fois-ci l'échange marche dans les deux sens, cela correspond à la réalité d'aujourd'hui, je crois que les plus anciens ont toujours beaucoup à apprendre aux plus jeunes mais les plus jeunes ont aussi beaucoup à apprendre aux plus anciens », déclarait Antoine Sire, alors responsable de l'engagement d'entreprise et membre du comité exécutif du groupe BNP Paribas, dans une vidéo publiée par la Fondation Agir Contre l'Exclusion.
Autre exemple : Octave, « un programme de leadership intergénérationnel qui traite des nécessaires adaptations digitales, sociétales et environnementales des entreprises, pour faire face à une époque instable ». Né sous l'impulsion de Danone en 2011, en partenariat avec la Société Générale, ENGIE, Orange, et L'Oréal, il s'adresse à toutes les entreprises intéressées par la thématique de la diversité intergénérationnelle.
Enfin, pour donner envie à d'autres collaborateurs de s'initier au mentorat, il ne faut pas oublier de valoriser les mentors ainsi que les mentorés et de communiquer sur les bénéfices du programme mis en place.
Favoriser la collaboration de plusieurs générations passe également par la formation des managers aux enjeux de la collaboration intergénérationnelle. « Il y a une attention à avoir pour chaque personne. Chaque individu est unique et va donc avoir sa propre problématique de relation avec son manager. Mais si on donne des objectifs communs et du sens à ce que l'on fait, l'équipe peut se constituer plus facilement », explique Dominique Crochu, cofondatrice de la plateforme Mixity, dans une interview accordée à My Happy Job.